Contrôle de Gestion des métiers de la Servuction
Les métiers des Services sont caractérisés par leur process particulier de Production, baptisé Servuction dans les années 1980 par P. Eiglier et E. Langeard.
Ce concept de Servuction a des incidences sur la commercialisation d’une offre de Services BtoB : on ne vend pas des services comme on vend des pains au chocolat. Plus le niveau de Servuction augmente, plus l’implication du Client devient forte et plus la différence s’accentue.
Mais il n’y a pas que la commercialisation qui est impactée : le Management des activités de Services ne peut pas être calqué sur les activités de Production. Le concept de Symétrie des Attentions, par exemple, illustre bien les risques qui existent à gérer des prestataires de services comme des agents de production classiques.
Or l’un des outils du Manager, c’est le Contrôle de Gestion qui permet de mesurer la Performance. Du coup, cette semaine, nous vous proposons un article invité sur cette thématique du Contrôle de Gestion en activité de Services.
Celui-ci nous vient de David Frogin, Contrôleur de Gestion de STREGO, Groupe d’Expertise-Comptable.
Contrôle de gestion des services, nécessité d’une nouvelle vision ?
La fonction contrôle de gestion peine à trouver ses marques dans le monde des services (NDLR : pourtant les Services représentent près de 80% du PIB français !). Les expériences montrent que la simple transposition des méthodes et outils industriels n’est pas pertinente. Quelles sont donc les différences fondamentales entre ces deux mondes qui justifient ces difficultés ?
Contrôle de gestion industriel : à la recherche de l’optimum
En industrie, le contrôleur de gestion a pour objectif d’optimiser l’utilisation des ressources pour un résultat donné, le produit à destination du client. Pour réaliser cette mission, il va accompagner un manager dans la gestion de son équipe et des équipements.
Les gammes opératoires laissant de très faibles marges de manœuvres, les niveaux de qualité, coût et délais sont donc prévisibles. Le manager peut piloter son processus de production avec une bonne visibilité sur l’utilisation des ressources, humaines et matérielles, car le processus de production est stable d’une série à l’autre, standardisé par ces gammes opératoires.
Sauf incident, les ressources engagées dans la production sont connues, tant en quantité qu’en qualité. Qu’il s’agisse des matières à utiliser, de la performance des machines ou des compétences des collaborateurs, le manager connait à l’avance ses ressources disponibles.
Les responsabilités quant à l’atteinte des performances attendue sont clairement définies. Les écarts proviennent soit des matières, soit de dysfonctionnements machines, soit du non-respect des gammes. L’évaluation de la performance du processus de production est donc OBJECTIVE.
Contrôle de gestion des services : à la recherche du compromis
En services, on ajoute un acteur supplémentaire dans le processus de servuction : le client.
Le client est une ressource pour le processus de réalisation du service. Et plus le niveau de servuction est élevé, plus la contribution du client impactera les performances de ce processus. Or, les quantités (temps consacré à la prestation) et qualités (niveau de compétence) de cette nouvelle ressource ne sont pas connues du prestataire.
Il n’est donc plus question d’établir des gammes opératoires à suivre à la lettre. En effet, face à cette inconnue que constitue le client, le prestataire doit être en capacité de s’adapter. Il doit donc disposer de marges de manœuvres suffisantes dans la réalisation du service. Le processus n’est plus standard, il est adaptatif. Le manager perd en visibilité et les responsabilités sont diluées. L’évaluation de la performance du processus ne peut donc plus être objective.
Plus le niveau de servuction sera fort, plus l’appréciation de la performance sera SUBJECTIVE, car liée à des éléments externes à l’entreprise. Pour un livreur, l’impact du client sur le coût global de la prestation est limité au temps de contact lors de la remise du colis. Pour un consultant, le client impacte la performance de la mission dès le premier entretien et tout au long de son déroulement.
Les niveaux de qualité, de coût et de délai de réalisation du service ne sont donc pas déterminables à priori. Tout au long du déroulement de la prestation, un ajustement est effectué entre ces trois critères pour, d’une part, satisfaire le client, et d’autre part, satisfaire les contraintes de profitabilité du prestataire. L’évaluation finale du processus de servuction est ainsi la résultante d’un COMPROMIS entre le prestataire et le client sur les critères de qualité, délai et coûts. Ceux-ci ne sont plus optimisés pour le fournisseur, mais ACCEPTABLES par les parties prenantes.
Un compromis nécessitant plusieurs intervenants, cette évaluation est de facto COLLECTIVE, réalisée conjointement par le prestataire et le client.
Dès lors, il n’est pas étonnant que Pierre Yves Gomez, dans « Le travail invisible », constate une hypertrophie de la composante objective du travail durant les dernières décennies. Ni qu’il prévoit un rééquilibrage au profit des composantes subjectives et collectives pour les décennies à venir. Cette vision est totalement corrélée avec le développement des activités de services au détriment des activités industrielles.
En conclusion, une différence fondamentale réside dans la finalité même du contrôle de gestion.
- En contrôle de gestion industriel, on recherche un niveau de performance optimisé et objectif du processus de production.
- En contrôle de gestion des services, on recherche un niveau de performance acceptable du processus de servuction : le meilleur compromis, subjectif et collectif.
Optimisation, compromis, grande différence !
David Frogin
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